1. Modes propres de torsion

1.1 Chaîne discrète infinie

disque

dique en symétrie cylindrique

1.1.1 Moment d'inertie

On calcule le moment d'inertie d'un disque homogène de densité surfacique σ=MπR2\sigma = \frac{M}{\pi R^{2}} par rapport à son centre; on rappelle que l'élément de masse en coordonnées polaire est dm=σrdθdrdm = \sigma rd\theta dr, on obtient alors le moment d'inertie

J=DOM2d2m=02πdθ0Rr3σdr=MR22J = \int\int_{D} OM^{2} d^{2}m = \int_{0}^{2\pi}d\theta \int_{0}^{R} r^3\sigma dr = \frac{MR^{2}}{2}

1.1.2 équation du mouvement

On se place dans le référentiel attaché au fil; le disque numéro nn est soumis aux forces extérieures suivantes :

  • le poids : moment en GnG_n nul
  • la réaction du fil : moment en GnG_{n} nul
  • les torsions exercées par les troncons de fil de part et d'autre de GnG_n

On applique le théorème du moment cinétique en GnG_n

(ddtσGn)R=MGn\Big( \frac{d}{dt}\overrightarrow{\sigma_{G_n}} \Big)_{\mathcal{R}} = \sum \overrightarrow{\mathcal{M}_{G_n}}

On projette la relation sur l'axe du fil, il ne reste que le couple des forces de torsion :

Jθn¨=C(θnθn1)C(θnθn+1)J\ddot{\theta_n} = - C(\theta_n - \theta_{n-1}) - C(\theta_n - \theta_{n+1})

équation du mouvement

Jθn¨+C(2θnθn1θn+1)=0J\ddot{\theta_n} + C(2\theta_n - \theta_{n-1} - \theta_{n+1}) = 0

Le mouvement du disque DnD_n dépend de ceux de Dn1D_{n-1} et Dn+1D_{n+1}.

1.1.3 énergie mécanique totale

On choisit de l'origine des énergies potentielles quand la chaîne est totalement relâchée (nN,θn=0\forall n \in \mathbb{N}, \theta_n=0).

Calculons l'énergie que doit dépenser réversiblement un opérateur pour tordre chaque disque, respectivement, d'un angle θn\theta_n. Supposons que tous les disques situés avant DnD_n ont été tordus et que DnD_n et les suivants sont encore relâchés; pour tordre DnD_n d'un angle θn\theta_n, un opérateur doit exercer réversiblement une force dont le travail est l'énergie potentielle :

Wop=Ep(n)=W(forces de torsion)=ΓdθW_{op} = E_p(n) = -W_{(\textrm{forces de torsion})} = - \int \Gamma d\theta
Wop=0θn[C(θθn1)C(θ0)]dθ=Cθn2Cθnθn1W_{op} = - \int_{0}^{\theta_n} \Big[ -C(\theta-\theta_{n-1}) - C(\theta-0) \Big] d\theta = C\theta_n^{2} - C\theta_n\theta_{n-1}

L'énergie cinétique du disque DnD_n est Ec(n)=J2(dθndt)2E_c(n) = \frac{J}{2} \Big(\frac{d\theta_n}{dt}\Big)^2.

Finalement l'énergie mécanique totale de la chaîne s'écrit :

énergie mécanique totale

E=nZ[Ec(n)+Ep(n)]=nZ[J2θn˙2+Cθn2+Cθnθn1]E = \sum_{n \in \mathbb{Z}} \left[ E_c(n) + E_p(n) \right] = \sum_{n \in \mathbb{Z}} \Big[ \frac{J}{2} \dot{\theta_n}^2 + C\theta_n^2 + C\theta_n\theta_{n-1} \Big]

Cette somme, nécessairement convergente, est égale à l'énergie injectée dans le système (par exemple en bout de chaîne à l'aide d'un moteur électrique).

1.1.4 recherche de solutions ondulatoires

Sachant que θ˙n=(iω)θn\dot \theta_n = (-i\omega) \theta_n et que θ¨n=(iω)2θn\ddot \theta_n = (-i\omega)^2 \theta_n, on renvoie la solution proposée par l'énoncé dans l'équation du mouvement. Après simplifications, on obtient la condition suffisante d'existence des solutions :

relation de dispersion

ω=2CJsinqa2\omega = 2\sqrt{\frac{C}{J}} |\sin \frac{qa}{2}|

Le système formé des équations du mouvement de chaque disque exprime l'action de proche en proche que peut exercer chaque maillon sur ces voisins. Si l'on tord un maillon, il entraîne son voisin, puis celui-ci entraîne le suivant, etc...

Une impulsion est succeptible de se propager le long de la chaîne.

Supposons que l'on impose à l'un des maillons un mouvement vibratoire sinusoidal (à l'aide d'un petit moteur électrique). Après amortissement des effets transitoires liés à la mise en marche de l'excitateur, le mouvement de chaque maillon doit également être sinusoidal de même fréquence, même amplitude car rien ne distingue les chaînons les uns des autres : l'énergie ne subit aucune absorption à mesure que l'on s'éloigne de la source excitatrice.

Il était donc raisonnable de proposer des solutions qui sont le produit d'un terme purement oscilatoire : eiωte^{-i\omega t} avec un terme de déphasage : eqxne^{qx_n} qui dépend de la position xnx_n.

1.1.5 étude de la relation de dispersion (symétrie par translation)

  • la fonction ω=f(q)\omega = f(q) est périodique de période : G=2πaG=\frac{2\pi}{a}

disque

Relation de dispersion
  • Si l'on change qq par q+pGq+pG la pulsation reste la même ω(q+pG)=ω(q)=ω\omega(q+pG) = \omega(q) = \omega et on vérifie ensuite que la solution est invariante:
nZ,ei[(q+pG)xnωt]=ei(qxnωt)=θn(t)\forall n \in \mathbb{Z}, e^{i\big[(q+pG)x_n-\omega t\big]} = e^{i(qx_n-\omega t)} = \theta_{n}(t)
  • Cette invariance est dûe au fait que la chaîne est discrète (il y a une longueur caractéristique minimale qui est le pas aa).

Parlons en terme de longueur d'onde (grandeur physique plus intuitive). La plus petite longueur d'onde observable "physiquement" est aa. Considérons une solution telle que q=q0+pGq = q_0 + pG (p entier) soit q>G2|q| > \frac{G}{2} c'est à dire qui aurait une longueur d'onde inférieure à aa (donc non observable physiquement).

La longueur d'onde mesurée (physique ou effective) est inférieure à aa. Pour une étude physique, on peut donc se restreindre à la zone de Brillouin : ]G2,G2]\rbrack \frac{G}{2}, \frac{G}{2} \rbrack.

1.1.6 vitesse de phase et vitesse de groupe

  • vitesse de phase : c'est la vitesse de déplacement des surfaces équiphases (pour le calcul on plonge la variable d'espace dans un espace continu : x(R)x \in \mathbb(R))
d(qxwt)q=cste=0vϕ=dxdt=ω(q)qd(qx-wt)_{q=cste}=0 \Rightarrow v_{\phi} = \frac{dx}{dt} = \frac{\omega(q)}{q}

vitesse de phase

vϕ(q)=2CJsinqa2qv_{\phi}(q) = 2\sqrt{\frac{C}{J}} \frac{| \sin \frac{qa}{2} |}{q}
  • vitesse de groupe : c'est la vitesse de propagation de l'énergie, vg=dωdqv_g = | \frac{d\omega}{dq} |

vitesse de groupe

vg=aCJcosqa2v_g = a\sqrt{\frac{C}{J}}|\cos\frac{qa}{2}|

Ces deux vitesses étant différentes, on dit que le milieu de propagation est dispersif.

1.1.7 étude du centre de la zone de Brillouin (qa21| \frac{qa}{2} | \ll 1)

  • vϕaCJv_{\phi} \simeq a \sqrt{\frac{C}{J}} et vgaCJv_g \simeq a \sqrt{\frac{C}{J}}
  • θn+1(t)θn(t)=eiqa1\frac{\theta_{n+1}(t)}{\theta_n(t)} = e^{iqa} \simeq 1 : deux disques consécutifs sont pratiquement en phase.
  • tous les disques vibrent en phase, c'est un mouvement en bloc. En effet, comme qq est défini modulo GG, la condition : qa1\frac{q}{a} \ll 1 revient à considérer q2πaq \approx \frac{2\pi}{a} soit une longueur d'onde de aa (mouvement en bloc).

1.1.8 étude du bord de la zone de Brillouin (q=G/2q = G/2)

  • θn+1(t)θn()t=eiqa=eiπ=1\frac{\theta_{n+1}(t)}{\theta_n()t} = e^{iqa} = e^{i\pi} = -1 : deux disques consécutifs sont en opposition de phase.

  • l'état physique est inchangé car G2\frac{G}{2} et G2-\frac{G}{2} diffèrent d'une période.

  • la vitesse de groupe vaut vg=aCJcosπa.a2=0v_g = a\sqrt{\frac{C}{J}} | \cos \frac{\pi}{a}.\frac{a}{2} | = 0 : l'énergie ne se déplace pas, elle oscille sur place, dans chaque cellule élémentaire.

1.1.9 bande de fréquences permises

  • ωc=2CJ\omega_c = 2\sqrt{\frac{C}{J}}.

  • l'énoncé suggère de considérer le cas où θn+1=θn\theta_{n+1}=-\theta_n et de réécrire l'équation de propagation, on obtient :

d2θndt2+ω2θn=0\frac{d^2\theta_n}{dt^2} + \omega^2\theta_n = 0

avec ω2=4CJ\omega^2=4\frac{C}{J}

Comment comprendre l'existence d'une fréquence de coupure ? On peut raisonner sur l'énergie du système pour étudier le bord de la zone de Brillouin.

Considérons l'énergie mécanique d'un maillon :

En=Ec(n)+Ep(n)=J2θn˙2+Cθn2+Cθnθn1E_n = E_c(n) + E_p(n) = \frac{J}{2} \dot{\theta_n}^2 + C\theta_n^2 + C\theta_n\theta_{n-1}

que l'on peut réécrire en symétrisant le terme d'énergie potentielle :

En=Ec(n)+Ep(n)=J2θn˙2+C2(θnθn1)2E_n = E_c(n) + E_p(n) = \frac{J}{2} \dot{\theta_n}^2 + \frac{C}{2} \big( \theta_n - \theta_{n-1} \big)^2

En prenant θn=Acosωt\theta_n = A \cos \omega t et θn+1=Acos(ωt+ϕ)\theta_{n+1} = A \cos (\omega t + \phi) avec ϕ=qa\phi = qa, on calcule Ec(n)E_c(n) et Ep(n)E_p(n) :

Ec(n)=JA22ω2sin2ωtE_c(n) = \frac{JA^2}{2} \omega^2 \sin^2 \omega t
Ep(n)=2CA2sin2ϕ2sin2(ωt+ϕ2)E_p(n) = 2CA^2 \sin^2 \frac{\phi}{2} \sin^2 (\omega t + \frac{\phi}{2})

Le mouvement de torsion se transmet de proche en proche (à partir d'une source) grâce à la conversion de l'énergie cinétique en énergie potentielle de torsion.

On remarque que Ec(n)E_c(n) a une amplitude qui augmente avec ω\omega, tandis que celle de Ep(n)E_p(n) vaut au maximum 2C2C.

Lorsque ω\omega est faible, une onde plane progressive peut se propager : la longeur d'onde s'adapte pour que l'amplitude de Ep(n)E_p(n) soit la même que celle de Ec(n)E_c(n). On retrouve ainsi la relation de dispersion. Toute l'énergie injectée est transmise.

  • Si on injecte de l'énergie cinétique avec une pulsation égale à ωc=2CJ\omega_c = 2 \sqrt{\frac{C}{J}}, alors Ec(n)E_c(n) et Ep(n)E_p(n) oscillent en phase, l'énergie oscille sur place, l'onde est stationnaire.

  • Si on injecte de l'énergie cinétique avec une pulsation supérieure à ωc\omega_c, alors l'énergie potentielle ayant une amplitude bloquée à 2C2C, elle ne peut absorber toute l'énergie cinétique et la restituer au maillon suivant : l'amplitude du mouvement diminue d'un maillon au suivant, l'onde est dite amortie.

On voit ainsi apparaître la coupure fondamentale à ωc\omega_c, qui est dûe au fait que le fil de longueur aa ne peut pas transmettre des énergies aussi grandes que l'on veut. Cela disparaîtra quand on étudiera le modèle de torsion continue.

1.2 Variables normales et modes propres de torsion

On étudie à présent une chaîne finie (N chaînons) bouclée sur elle-même. C'est la façon la plus simple de traiter les effets de bord périodiques. Les solutions des équations du mouvements devront donc satisfaire la relation suivante :

nZ,θn+N(t)=θn(t)\forall n \in \mathbb{Z} , \theta_{n+N}(t) = \theta_n(t)

1.2.1 recherche de solutions en ondes progressives

  • L'équation du mouvement est encore valable et donc la relation de dispersion également. (Mathématiquement on ne fait que modifier les conditions aux limites sans toucher au système des équations du mouvement). La condition de BVK impose que : eiqNa=1e^{iqNa} = 1 soit $q_m = \frac{2\pi}{Na}m $ où mZm \in \mathbb{Z}.

  • qq devient une variable discrète avec qm=mq1q_m = m q_1 et q1=2πLq_1 = \frac{2\pi}{L}. Il s'agit de solutions ondulatoires dont la longueur d'onde λ\lambda est Lm\frac{L}{m} : un sous-multiple de la longueur d'un chaînon.

  • On cherche mm tel que : G2<qmG2N2<mN2-\frac{G}{2} < q_m \leq \frac{G}{2} \Leftrightarrow -\frac{N}{2} < m \leq \frac{N}{2}

    • si N pair : N=2N1N1<mN1N = 2 N_1 \Rightarrow -N_1 < m \leq N_1
      m=N1+1,N1+2,...,0,1,...,N1m = -N_1+1, -N_1+2,...,0,1,...,N_1 \qquad soit 2N1=N\qquad 2N_1=N valeurs.
    • si N impair N=2N11N1+12<mN112N = 2 N_1-1 \Rightarrow -N_1+\frac{1}{2} < m \leq N_1-\frac{1}{2}
      m=N1+1,N1+2,...,0,1,...,N11m = -N_1+1, -N_1+2,...,0,1,...,N_1-1 \qquad soit 2N11=N\qquad 2N_1-1=N valeurs.

CQFD.

Dans tous les cas il y a NN valeurs possibles de qq dans ]G2,G2]\Big]-\frac{G}{2},\frac{G}{2}\Big]

1.2.2 variables normales

  • L'énoncé nous dit !!! quote

    ... L'existence des solutions en ondes progressives (...) suggère d'introduire (un)
    nouveau jeu de variable, dites normales....
    

    En effet, on peut faire une petite analogie avec l'algèbre linéaire : dans un espace vectoriel normé fini muni d'une base orthonormée, une façon simple de caractériser tout vecteur de l'espace est de connaitre l'ensemble des projections orthogonales de ce vecteur quelconque sur les vecteurs de la base orthonormée. C'est l'idée que l'on applique ici : en fait en physique on appelle cela une Transformée de Fourier Discrète (TFD).

    Le nouveau jeu de variable {ξm}\lbrace \xi_m \rbrace peut être qualifié de dual du jeu {θn}\Big\{ \theta_n \Big\}.

    Nous n'avons pas besoin de connaitre la TFD pour répondre à la question, nous devons seulement effectuer le changement de variable proposé. En renvoyant l'expression de θn(t)\theta_n(t) de l'énoncé dans l'équation du mouvement, on obtient :

    Jd2dt2[1Nmeiqmxnξm(t)]+2C[1Nmeiqmxnξm(t)]=C[1Nmeiqmxn+1ξm(t)+1Nmeiqmxn1ξm(t)]J\frac{d^2}{dt^2}\Big[\frac{1}{\sqrt{N}}\sum_{m}e^{iq_mx_n} \xi_m(t) \Big] + 2C \Big[\frac{1}{\sqrt{N}}\sum_{m}e^{iq_mx_n} \xi_m(t) \Big] = \\ C \Big[ \frac{1}{\sqrt{N}}\sum_{m}e^{iq_mx_{n+1}} \xi_m(t) + \frac{1}{\sqrt{N}}\sum_{m}e^{iq_mx_{n-1}} \xi_m(t)\Big]

    soit

    1N[(eiqmxn)(Jd2ξmdt2+2CξmCξmeiqmaCξmeiqma)]=0\frac{1}{\sqrt{N}} \Big[ \big(e^{iq_mx_n}\big)\big(J\frac{d^2\xi_m}{dt^2}+2C\xi_m-C\xi_m e^{iq_ma}-C\xi_m e^{-iq_ma}\big)\Big] = 0

    La dernière expression est une combinaison linéraire de fonctions {eiqmx}\lbrace e^{iq_mx} {\rbrace} de la variable xx; or cette famille de fonctions, indexée par mm, est libre, on peut donc égaler à zéro les coefficients :

    • nZ\forall n \in \mathbb{Z} Jd2ξmdt2+4Csin2(qma2)ξm(t)=0J\frac{d^2\xi_m}{dt^2} + 4C\sin^2 (\frac{q_ma}{2})\xi_m(t) = 0

équation du mouvement de ξm\xi_m

d2ξmdt2+ωm2ξm(t)=0\frac{d^2\xi_m}{dt^2} + \omega_m^2\xi_m(t) = 0

En utilisant l'expression définie en I-1-4, on obtient la pulsation ωm=2CJsinqma2\omega_m = 2\sqrt{\frac{C}{J}}| \sin \frac{q_ma}{2}|

  • L'équation précédente est celle d'un oscillateur harmonique de pulsation ωm\omega_m que l'on trouve également en électricité,... et plus généralement dans tout système physique évoluant au voisinage d'une position déquilibre et soumis à une force de rappel.

  • Les variables ξm\xi_m ne sont pas couplées (elles obéissent chacune à leur propre équation).

Remarque

Les calculs menés dans cette question s'inspire d'une méthode très générale de résolution des équations différentielles linéaires : on prend une transformée de Fourier de l'équation différentielle, on obtient une équation algébrique (pour les fonctions duales) qui est souvent plus facile à résoudre puis on prend la transformée de Fourier inverse pour revenir aux fonctions de départ.